May a interviewé Xavier de Mazenod dans le cadre du livre blanc sur le futur du travail ici, voici son interview intégrale.
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Sommaire
Le déclencheur, c'était notre déménagement familial à la campagne en 2004. C'est là que j'ai commencé à m'intéresser à la ruralité parce qu'on réfléchissait à partir vivre la campagne en Normandie. Et puis, petit à petit, j'ai ressenti qu'il y avait un décalage entre la vie des urbains et la vie des ruraux, et en particulier sur la connaissance et les usages du numérique.
Donc, on a lancé une association qui, à l'origine, était très concentrée sur le raccordement haut débit. Et petit à petit, par proximité, on a développé plein de sujets, des formations comme dans un espace public numérique, c'est-à-dire qu'on apprenait aux gens à se servir d'un ordinateur, d'Internet, de leur téléphone portable ensuite, des réseaux sociaux etc...
Donc ce sont des couches de services qu'on a empilés. On voulait prouver qu'il y avait un besoin et que c'était faisable, sans moyens, n'importe où. Et c'est ce qu'on a fait d'ailleurs.
Il y a eu un enchaînement de choses avec la Covid et on a plus de mal à redémarrer des activités depuis. Mais en dehors de ça, je suis convaincu qu'il y a toujours les mêmes besoins, y compris de ce qu'on appelle aujourd'hui l'électronisme, parce qu'il y a beaucoup de gens qui pianotent un petit peu sur ordinateur mais qui n'ont pas d'usage avancé. Ils savent envoyer un mail, ils savent un peu se balader sur Google et puis c'est tout. Alors que comme on est plus éloignés des centres culturels, des centres de formation, etc. Ça serait intéressant qu'ils puissent utiliser Internet pour des choses plus avancées.
Il y a beaucoup de gens qui se disent “ce n'est pas pour moi parce que moi, je n'y comprends rien en numérique”, alors que justement, on pourrait les aider !
L’important c’est de trouver comment former les gens à l’IA.
A la campagne par exemple on a monté un robot de culture, qui s'appelle un “farm bot”. C’est un petit robot qui gère, qui sème, qui plante, qui arrose, qui désherbe.
Mais le problème c’est que les gens ne savent même pas que ces choses existent, même les entrepreneurs du coin, s'ils n'ont pas une compétence particulière pour s'y intéresser, ils ne vont jamais y arriver.
ChatGPT, c'est simple, mais si personne ne vous guide, vous ne savez pas par quel bout le prendre. Vous ne connaissez pas les dangers, vous ne connaissez pas la manière de fabriquer un prompt. Il faut que les gens aient une vision de l'intelligence artificielle un peu plus avancée que ce qu'on peut entendre. Pour ca il faut faire des groupes d'échange. Sur WhatsApp par exemple . Même dans les entreprises, c'est consternant le retard. Personne ne sait comment faire des formations massives.
J'ai déjeuner avec un ami journaliste vendredi par exemple, on échangeait sur ChatGPT, sur l'intelligence artificielle en général. Et comme lui était journaliste, il dit « moi j'ai un peur pour mon boulot ». Puis à ce moment-là, il y a le serveur qui débarrassait (un jeune, qui devait avoir 25 ans) qui débarrassait la table, qui entend notre conversation, il dit :
“Oui vous avez raison, moi je l'utilise, ChatGPT, je m'intéresse beaucoup au café, donc je produis des articles et je les vends sur une plateforme entre 30 et 70 euros l'article. Et ça me prend cinq minutes avec ChatGPT.” Il y a des gens qui ont besoin de trouver leur business, comme les chauffeurs Uber, qui bidouillent et qui sont plus vifs que d'autres ou plus curieux. Le role de l’entreprise c’est d’encourager ceux qui suivent moins à le faire.
Les formations, c'est très accessibles à distance aussi, au format webinaire.
Donc l'idée, c'est peut-être une fois qu'on a fait la première couche culturelle pour les acculturer à l'intelligence artificielle, c'est peut-être de leur donner les travaux pratiques, leur expliquer ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire, où est-ce qu'ils peuvent aller chercher des ressources, c'est-à-dire leur apprendre à apprendre.
On ne peut pas faire à leur place. Et puis, c’est difficile de faire un cours classique sur l'intelligence artificielle. Ça évolue tout le temps. Si vous faites une formation traditionnelle, le temps que vous la fassiez, elle est déjà démodée.
Je vois beaucoup d'études contradictoires en ce moment. Prédire l'avenir, ça n'a jamais été très facile, mais ce qu'on peut faire, c'est déjà avoir les grandes tendances. Et les grandes tendances, c'est certainement qu’il y a beaucoup demandes de flexibilité, surtout de la part des salariés. C'est-à-dire que je peux rester salarié, ça ce n'est pas forcément le problème, mais dans le cadre de mon travail, je veux être libre sur les horaires, sur l'organisation de mon travail, ça ne veut pas dire que je ne vais pas travailler.
Les entreprises ont beaucoup de mal à digérer ça. Elles ont digéré le télétravail, parce qu'elles y étaient obligées, mais du coup, elles ont tendance à complètement le geler, l'encadrer, ce qui est contraire à l'esprit du télétravail. Et là, il y a encore beaucoup de choses à faire, c'est-à-dire de comprendre que ça doit être une démarche presque philosophique de l'entreprise et que ça se passe au niveau de la direction générale et qu'il doit être convaincu qu'on ne peut plus manager les gens de la même manière.
On a besoin de flexibilité quand on est à la merci de plein de crises sanitaires ou autres. On voit bien qu'on est dans un monde un peu agité et instable, et que le meilleur moyen de s'en préserver, c'est de rester souple et flexible. Ça veut dire avoir des locaux qui ne sont pas forcément le centre où on fait venir tous les salariés. En cas de problème, les gens peuvent rester chez eux parce qu'ils savent le faire. On peut rester soudé, avoir une entreprise soudée avec des gens qui sont trois jours ou quatre jours par semaine ailleurs, qui ne sont pas forcément au bureau.
Et après ça, si vous remontez encore d'un cran, vous apercevez que le problème central, c'est la confiance.
Le challenge, c'est d'arriver à développer une culture qui repose sur la confiance.
Quand vous avez tourné longtemps sur la base du contrôle, c'est très difficile de faire confiance, parce que quand vous voulez la confiance de vos salariés, il faut commencer par leur faire confiance, il faut leur envoyer des signaux positifs. Quand vous leur dites non, vous n'allez pas télétravailler le lundi, pas le vendredi parce que vous allez prolonger votre week-end, pas le mercredi parce que vous allez garder vos enfants, ce n'est pas un bon signal qui est envoyé.
Je connais une entreprise, la Mutuelle Générale, qui doit être la quatrième ou cinquième mutuelle en France, qui a fait une charte ou un accord télétravail qui prévoit de télétravailler autant qu'on veut, c'est vous qui décidez, vous habitez où vous voulez en France métropolitaine (parce que vous devez être capable de revenir dans les 24 heures au siège, c'est dans le code du travail) et puis c'est tout.
On vous impose juste un jour par mois de présence obligatoire pour tout le monde le même jour. Ce qui est quand même pas très oppressant un jour par mois.
Donc voilà, ce sont des entreprises qui ont gagné, qui vont forcément prendre de l'avance sur les autres parce que leurs salariés vont être plus heureux, ils auront une meilleure rétention, ils ne seront pas obligés d'avoir un turnover et de recruter en permanence des gens qui ne sont pas engagés. Donc ça, je pense que c'est une tendance importante du futur du travail. Quant au reste, on est dans la technique, trois jours de télétravail ou quatre jours, on s'en fiche. Semaine de quatre jours ou pas semaine de quatre jours, les salariés vont vous le dire, ce qu'ils ont envie. S'il y en a qui veulent la semaine de quatre jours, ils l'auront. Est-ce que c'est 32 heures ou 37 heures, ça fera un débat dans l'entreprise et ainsi de suite. Je pense qu'on a trop tendance à confondre technique et RH.
Ce qui concerne l'exécution de ce qu'on a décidé et philosophie de la démarche. Donc la flexibilité, l'autonomie. Par la confiance. L'autonomie, ça va jusqu'à l'indépendance complète, l'explosion des freelance, des statuts de micro-entrepreneurs. C'est-à-dire que les gens veulent être leurs propres entrepreneurs, ils ne veulent pas trop de charges et de contraintes administratives, ils ne veulent pas monter de multinationales, non, ils veulent faire le métier qu'ils aiment dans des bonnes conditions d'autonomie. Et puis il y en a, moi j'en vois, j'ai des copains, tous les 3-4 ans ils changent, leur activité baisse, et boum, ils reprennent un poste salarié, puis quelques-uns d'ailleurs deviennent indépendants.
Donc ça c'est perturbant pour une entreprise, parce qu'il y a 20 ans, pas beaucoup en France, mais il y a des pays comme le Japon par exemple, quand vous rentriez au début de votre carrière, vous finissiez votre carrière dans la même entreprise. Du temps de mes parents, je me souviens, c'était assez mal vu de changer d'entreprise tout le temps. Aujourd'hui, c'est mal vu de rester tout le temps dans la même entreprise, c'est l'inverse. Donc, c'est cette mobilité, cette flexibilité. On ne tient plus le salarié par le rapport de force et tu me donnes ton temps, je te donne un salaire. Ça, ça ne marche plus parce que Quand on dit tu me donnes ton temps, ça veut dire tu es productif 8h par jour ou 7h30 aujourd'hui, ça n'existe pas, c'est pas vrai.
On a des bons et des mauvais jours, quelquefois on est inspiré, quelquefois on ne l'est pas, on est malade, les conjoints ou les enfants ont un problème, voilà c'est humain, c'est normal. Donc c'est le salarié qui sait le mieux dans quel état il est, comment il produit, à quel moment il doit produire. Alors, ça ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de contrôle. C'est ce que comprennent des cadres de dirigeance. Oui, mais si vous faites ça, on ne sait pas où sont les salariés, on ne peut plus les contrôler. Ce n'est pas les salariés qu'il faut contrôler, c'est le rendu de leur travail. Ce n'est pas du travail. Vous pouvez mettre une caméra sur mon bureau, je vais m'arranger pour faire semblant de travailler quand même.
Les boîtes qui vous imposent de mettre la caméra quand vous êtes en visio, Sinon, ils ont peur que vous fassiez autre chose derrière l'écran, ce qu'il y aurait d'ailleurs. C'est une démarche qui est complètement pervertie. Ils ne comprennent pas du tout la finalité. Et d'ailleurs, au passage, quand vous êtes en réunion en présentiel, 90% des gens, ils rêvent, ils dorment, ils font leur mail sous la table. Donc, il y a une révolution du management qui est en cours. Et personne n'a la recette. Alors que là, pour avoir la recette, c'est vous qui devez la trouver la recette. Il faut juste partir sur quelques bases dont on vient d'évoquer là.
Vous aviez une table de réunion ou pas dans votre bureau, donc dès que vous êtes cadre, vous avez le droit à une petite table, plus ça grandit, vous montez dans l'hierarchie puis ça grandit, il y a un peu de ça, c'est normal. Mais ce qui est intéressant, c'est ce qu'on disait tout à l'heure, c'est que vous n'êtes pas prisonnier pendant toute une carrière d'un modèle. Parce que dans votre vie, vous avez évolué, vous avez 25 ans, vous sortez d'école, vous êtes célibataire, vous n'avez pas d'horaire, etc. Après, si vous avez une famille, vous allez changer de besoin. Et vous allez avoir besoin d'un mode plus souple peut-être. Il y a des gens qui vont au clos et puis ça, vous ne les changerez jamais. Ils sont là pour exécuter, faire un temps. Et après, ils sont ailleurs, ils ont leur vie.
L'objectif, c'est de faire partager une partie de la veille que je peux avoir ou de la réflexion que je peux avoir sur ce que je trouve pour donner des idées aux gens qui se posent toutes ces questions dont on vient de parler.
Elle parle de tiers-lieu, de développement territorial, de ruralité, et on parle beaucoup des changements du travail, de télétravail évidemment, travail hybride. Voilà tous ces sujets qui, à mon avis, concernent l'évolution du travail demain.
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